L’assurance maladie est le volet principal du projet ARCH, un outil de mise en œuvre de la nouvelle stratégie de protection sociale au Bénin. Les bénéficiaires dudit projet sont les couches les plus démunies de la population exerçant dans les secteurs de l’agriculture, du commerce, du transport, de l’artisanat, de l’art et de la culture. A ceux-ci s’ajoutent les personnes démunies sans activité. Les paysans font partie intégrante des populations cibles. Ceux de Djidja, privés de prise en charge en cas de maladie l’appellent de tous leurs vœux.
En cette fin de matinée d’une journée pluvieuse, nous partons pour Djidja, une commune située à quinze kilomètres environ de Bohicon. L’unique voie qui y mène est en terre latéritique, bordée d’arbres et de concessions en matériaux définitifs et précaires par endroits. Au bout d’une cinquantaine de minutes sur le trajet, nous voici à Hounvi, un village de la localité. Justin ATTAKITI nous reçoit sous une paillote de fortune dressée à l’entrée de son champ d’ignames. Il n’a Jamais souscrit à une assurance maladie auprès d’une compagnie. Ce cultivateur père de cinq enfants a l’habitude de se soigner au centre de santé de Goho. Il bénéficie de l’appui de l’ONG BORNFONDEN qui a mis en place un mécanisme d’assistance aux familles à travers une mutuelle de santé. Pour en bénéficier, il faut souscrire à une cotisation de base de cinq mille francs par an pour le compte de la famille. Un complément de mille francs par personne à partir du deuxième enfant est exigé. Le premier enfant déclaré bénéficie d’un accompagnement sur le plan éducatif et sanitaire. Les autres frères et sœurs sont pris en charge à hauteur des deux tiers de la somme à débourser pour faire face aux dépenses sanitaires. La participation à cette mutuelle de santé permet souvent à Julien de faire face aux cas de maladies dans sa famille, mais il ne parvient pas toujours à régler ses problèmes de santé. Il lui arrive d’avoir recours au guérisseur traditionnel du coin ou de s’approvisionner auprès des vendeurs ambulants de médicaments. Interrogé sur les risques liés à l’automédication, il en a pleinement conscience, mais que faire quand vous devez, seul, faire face à l’achat des médicaments alors qu’en période de soudure vos revenus s’amenuisent, s’interroge-t-il.
Pour lui, la priorité reste la santé, mais il n’a pas aujourd’hui les moyens pour souscrire à une assurance maladie auprès d’une compagnie, aux taux pratiqués. Il souhaite que l’Etat mette en place un mécanisme permettant aux travailleurs du secteur informel comme lui de bénéficier entièrement de la prise en charge sanitaire. Plus loin, dans un village du nom de Zinkanmè, un autre cultivateur, Louis Bocovo fréquente les centres de santé publics. Comme Justin, il a adhéré à la mutuelle de l’ONG BORNFONDEN. Ses enfants, son épouse et lui en bénéficient, mais il souhaite une prise en charge plus complète, les offres de l’ONG ne prenant que partiellement en charge les membres de la famille. A l’en croire, le programme de couverture sanitaire partiel mis en place par l’ONG tire à sa fin. Ses agents sont de moins en moins perceptibles sur le terrain. Il s’inquiète : « Nous sommes abandonnés à notre triste sort. L’intervention de ‘ONG nous permettait de soigner entièrement un enfant scolarisé en cas de maladie et d’obtenir le tiers des frais médicaux pour les autres enfants. Qu’allons-nous devenir avec son départ? » Lance-t-il le regard évasif.
Au siège de la coopérative des paysans de Djidja, Alphonse ne se fait pas prier pour exprimer ses besoins. « Nous Agbodjegoudo souffrons énormément ici. Moi, je n’ai aucune aide, je ne suis membre d’aucune mutuelle de santé. L’état de la voie ne permet plus aux Nigérians de venir s’approvisionner chez nous. Il n’existe pas d’infrastructures routières adéquates pour faciliter l’acheminement de nos produits vers l’extérieur. Mes moyens s’amenuisent, ce qui ne me permet pas de me soigner convenablement». Ce cultivateur de maïs souhaite qu’un cadre d’accompagnement sanitaire soit mis en place et que les coûts des cotisations soient étudiés, de manière à permettre aux plus démunis d’y souscrire. Pour le moment son épouse, ses six enfants et lui vivent dans l’incertitude de pouvoir avoir un jour, accès aux soins de santé de qualité à Djidja où il n’a jamais été examiné par un médecin. Son vœu le plus cher, c’est de pouvoir souscrire à une assurance maladie à un coût raisonnable. Pour le moment, ses espoirs s’éteignent. BORNFONDEN, la seule ONG qui intervient dans le secteur en assurant la prise en charge sanitaire partielle des familles est en cessation d’activités. Alphonse Agbodjegoudo ne sait pas à quel saint se vouer, lui qui n’avait même pas réussi à obtenir l’appui de l’ONG allemande. Les bénéficiaires des services de BORNFONDEN sont eux-aussi désespérés. Que faire ? Approchée, la Plateforme Nationale des organisations Paysannes et de Producteurs Agricoles du Bénin, PNOPPA, déclare n’avoir pas un volet assurance maladie pour les paysans. Elle a pour mission de représenter les producteurs agricoles auprès des pouvoirs publics, des Partenaires Techniques et Financiers (PTF), et de défendre leurs intérêts à travers des actions de plaidoyer et de lobbying. Mais, «compte tenu de l’importance de la question pour les professionnels agricoles, la PNOPPA fait le plaidoyer pour que la future loi d’orientations agricoles en cours d’élaboration prenne en compte la nécessité pour l’Etat d’instaurer au profit du monde paysan, la sécurité sociale dont l’assurance maladie constitue un volet majeur», confie M. Jonas GBEFFO, Chargé de Communication au sein de la structure. En attendant le vote éventuel de cette loi et sa mise en œuvre, les paysans de Djidja sont abandonnés à leur triste sort. Le projet ARCH les en délivrera peut-être.
Par Evelyne QUENUM,
Directrice de Publication du Quotidien Kini Kini